Trois mots d’Audren
Écriture
Mes livres germent et poussent autour d’un mot, d’une expression ou d’une situation rencontrée dans la journée. Je ne sais jamais ce qui va se passer. Je découvre ce que j’écris en l’écrivant, comme si j’étais lectrice de mon roman. Je suis souvent très étonnée par la tournure que prennent les événements au cours des chapitres.Parfois je flirte avec la magie, et les mondes parallèles ; parfois, je suis plus ancrée dans la réalité ; la fantaisie, l’humour et la bizarrerie prennent la place de mon surnaturel quotidien. On a affaire à des gens «normaux» pas très normaux quand même… Il faut bien que je m’amuse en écrivant, autrement ça ne m’intéresse pas. Écrire, c’est comme respirer. C’est vital. Je suis ravie de recevoir des compliments sur mes romans, mais je ne cherche pas à séduire qui que ce soit
lorsque j’invente une histoire. Je cherche à m’évader, à voyager. Qui m’aime me suive, je ne viendrai chercher personne… mais comme je serais triste si personne ne me suivait !
Voyage
Enfant, j’avais un grand besoin d’indépendance. Me voilà, pré-ado, visitant mes amis anglais deux ou trois fois par an, seize heures de train, bateau, douane, changement de gare à Londres, etc.
À quinze ans, j’emmène mon cousin de dix ans visiter
l’Écosse, sans savoir vraiment ce que nous découvrirons ni où nous dormirons. Puis c’est l’Irlande, profonde et humide, où j’atterris avec mon frère, dans une famille atroce. Je dors dans un lit qui grouille de charançons, je me lave dans une baignoire noire au fond de laquelle j’ai nettoyé un petit coin à l’eau de Javel pour poser mes pieds.
Ensuite, chaque été, ce sont d’interminables voyages jusqu’à Corfou. D’interminables traversées de l’Italie, de la Yougoslavie, des nuits sur les quais, à la belle étoile ou dans le fourgon postal ! Puis je rêve de plus loin, de plus dépaysant encore… alors… viennent Vancouver, le Canada, les réserves indiennes, les rodéos au bout des pistes poussiéreuses…
À seize ans enfin, accompagnée de ma meilleure amie, je traverse l’Europe de long en large, sac à dos, cartes en poche, aucune angoisse, juste l’envie de tout voir, de tout découvrir : les opéras de Vérone, les pâtisseries viennoises, la crasse des auberges de jeunesse, les junkies de Bologne. La veille de mes dix-huit ans, je pars seule habiter en Californie, puis à New York. Je ne sais pas ce que je ferai là-bas. Je chanterai, je danserai, je traverserai le pays en Grey Hound. Je vivrai…
Rébellion
Je déteste les clivages. Par exemple, je me révolte contre les parents qui nourrissent mal leurs enfants à la cuisine tandis qu’ils se tapent un festin dans la salle à manger. Pour la littérature, c’est la même chose. Pourquoi les enfants n’auraient pas droit au même plat que leurs parents ? (du moment que ce n’est pas trop pimenté, alcoolisé, ou dangereux pour leur santé).
J’ai toujours eu un faible et même un fort pour l’éducation anglo-saxonne, plus créative, plus ouverte, plus ludique que chez nous.
Je n’aime pas ces familles qui, sous prétexte de «blinder » leurs enfants, de les préparer à la « vraie vie », les privent de merveilleux moments d’insouciance et de légèreté. Il me semble qu’un adulte équilibré a souvent été un poussin empoté et assisté dans son enfance. Nous avons tous besoin d’un matelas d’insouciance, d’une référence sur laquelle nous allonger pour décrocher dans les moments difficiles. Si nous n’avons pas eu l’occasion de nous fabriquer ce matelas, sur quoi nous reposer lorsque la vie se complique ? En permanence, j’interroge le réel. Il ne me répond pas. Il me dérange bien plus que l’absurde, mon ami de toujours.
Extrait du catalogue Mouche, Neuf 2008