Les personnages de Moka semblent n’avoir pas grand chose à perdre. Prenez Frankie Avalon, l’héroïne récurrente de « Ailleurs rien n’est tout blanc ou tout noir », puis, du « Puits d’amour » et de « A nous la belle vie » : ce garçon manqué rêve de devenir pilote de chasse, et sacrifierait tout pour ce rêve, à commencer par l’amour. Le contraire de sa sœur Constance, belle poupée blonde séduisante et sage. Frankie n’a rien à perdre. Prenez Baptiste dans « Un phare dans le ciel » : le jeune garçon est sourd et il en subit les conséquences dans sa vie professionnelle. Henri, lui, est gros, trop gros. Dans « Ma vengeance sera terrible » il va tenter de faire un colossal régime. Bref, de nombreux héros des livres de Moka ne jouent pas, a priori, gagnant avec la vie. Ils doutent d’être un jour aimés. Mais au bout de leur histoire ils se seront affranchis de leur pseudo-handicap, de leur manque de confiance. Il faut dire que leur auteur ne les aura guère épargnés. Ils auront été soumis à l’épreuve, insoutenable, de la peur, de l’hostilité, de la violence. Les épreuves initiatiques ont, chez Moka, une radicalité qui fait de ses personnages de véritables héros. Il ne s’agit pas ici de savoir seulement traverser le couloir de sa maison dans le loin. Avec Frankie, nous roulons à travers Seattle prise sous la violence d’affrontements racistes (« Ailleurs… »). La jeune fille paraît être la seule à pouvoir affronter Linwood Forrester, le néo-nazi qui a séduit sa sœur et embrigadé pas mal de lycéens. Dans la ville à feu et à sang, elle doit échapper aux agressions, retrouver Constance et empêcher un meurtre. Dans « La Marque du diable », Moka va plus loin : Victoria doit affronter les forces du mal qui ont déjà coûté la vie à un élève de troisième et qui se sont abattues sur la ville sous forme de rats géants, de boules de feu, d’inondations, de meurtres rituels. Un genre fantastique (voire Gore avec ses squelettes revenus de la mort) qui valut à Moka d’être comparés à Stephen King lorsque sortit « L’Enfant des ombres », une histoire de collège aux prises avec des forces obscures. La violence, bien réelle, est d’autant plus vive, que Moka écrit dans un style enlevé, fulgurant, où les dialogues très modernes fusent avec la vivacité de ses héros. Ajoutez à cela une maîtrise diabolique des mécaniques de suspens et vous comprendrez pourquoi les couvertures de livres de Moka semblent enduites de colle : ils ne vous lâchent plus. Les personnages de Moka, parce qu’ils surmontent la peur, deviennent des héros. Mais ce qu’ils gagnent surtout au bout de leur aventure, c’est une sagesse et une vision plus sereine de la vie. Car en se découvrant, en s’acceptant tels qu’ils sont, ils rendent possible l’amour duquel ils se croyaient exclus. C’est dans l’opposition aux forces du mal que sont le racisme, le satanisme, la délinquance que se constituent les forces du bien. L’ambiguïté, qui permet d’éviter un manichéisme simpliste, réside dans le fait que bien et mal sont intimement liés. La limite entre les deux semble perméable et, pour trouver la bonne voie, chacun doit faire un travail sur soi. Les personnages de Moka affrontent souvent une peur qui prend sa source dans les contradictions où ils se trouvent. Pour les aider, parfois, la foi est nécessaire. Ainsi voit-on dans « La Marque du diable », un prêtre catholique, un islamiste et un juif prier ensemble au chevet d’un jeune noir ensorcelé. Dans « Mon Loup », l’association est différente : Pierre s’est inventé un loup qui l’accompagne chaque matin à l’école depuis qu’un jour il se fit rosser par des voyous. Le soutien, chez Moka, vient aussi de l’imaginaire. Il compense parfois l’absence de véritables dialogues avec les parents. Ce n’est pas que les pères ou les mères des romans de Moka n’aiment pas leur progéniture. Au contraire, ils auraient tendance à trop les aimer. « Ma vie de star » par exemple montre comment une mère veut faire de sa fille une star de la publicité : on imagine la catastrophe. Si le Pierre de « Ma vengeance sera terrible » est si gros, c’est parce que tout l’amour de sa mère passe par la nourriture, et on peut dire qu’elle aime ses enfants ! Cet amour ne laisse guère de place à l’adolescence pour développer son autonomie, son propre rapport au monde. Il faut alors qu’arrive un drame pour que sa personnalité se révèle à lui. En s’y frottant, il forgera son propre caractère : il grandira. Office du Livre en Poitou-Charentes/ Thierry Guichard/ Le Matricule des Anges