L’HOMME QUI RIT En 1987, la Ville de Beaugency accordait son Prix du Livre le plus Drôle de l'Année à "Victor Hugo s'est égaré". En vérité, cet album absolument inclassable est peut-être un des livres les plus drôles du monde et de tous les temps, et c'est avec ce genre d'ouvrages que l'Education Nationale pourrait espérer intéresser les jeunes générations à la vie et à l'oeuvre des grands hommes. Hélas, Philippe Dumas, son auteur, n'est pas, mais alors pas du tout Directeur des Programmes au Ministre. C'est un homme bien trop libre pour cela. Un homme qui n'hésite pas à mettre cinq enfants au monde à l'heure où la moyenne nationale est de 1,8. Un homme qui pousse sa bien-aimée, mère de famille nombreuse donc, et chanteuse de mélodieux lieder et de méconnus opéras-bouffe d'Offenbach à se lancer dans la variété pour avoir une carrière à la Vanessa Paradis. Un homme qui peut illustrer respectueusement les oeuvres de Jean Dutourd ET se moquer allègrement de l'habit d'Académicien. Un homme qui peut peindre du même alerte coup de pinceau des scènes de La Bible ET de la Commune du "Temps des Cerises". Un homme qui a le même meilleur ami depuis bientôt quarante-cinq ans, signe avec lui un tome de "Contes à l'envers" tous les vingt ans, et s'amuse à le faire apparaître dans les recoins de ses albums les plus variés (c'est Boris Moissard et il a une moustache). Un homme qui a eu le bon goût de ressembler à un très flegmatique, élancé et pétillant gentleman AVANT de partir vivre en Angleterre, et la sagesse de continuer à présent. Un homme qui n’a pas attendu Brigitte Bardot ni la crise de la vache folle pour s’inscrire à toutes les associations possibles et imaginables de défense des animaux d’élevage quand il a découvert il y a 7 ans, côté de chez lui, une ferme modèle. Un homme qui a fait les Beaux-Arts, à une époque où au lieu de rêver de devenir "designer", on visait encore Van Gogh. Un homme qui trouve moyen de toucher tout le monde, en racontant des saynètes de sa vie de famille (la série des « Laura », des « Robert et Louis ») ou la vie entière d'un petit garçon qui a grandi, qui est mort aujourd'hui et qui était son père (« Ce changement-là », le livre le plus serein de l'année 1981). Un homme qui métamorphose les pénibles manuels de bonnes manières en réjouissants catalogues d'horreurs à ne pas commettre trop souvent (« Le convive comme il faut »). Un homme qui par un bel après-midi d'été, il n'y a pas très longtemps, assis à une terrasse de café, s'extasiait et rendait grâce, en compagnie de son deuxième meilleur ami, le peintre Barthélémy, d'avoir autant de chance. Un homme libre et qui ne met sa liberté à profit que pour libérer chez les autres des tendresses, des émotions, et de grands éclats de rire. Sophie Chérer. Extrait de l’Album des Albums, l'école des loisirs, 1997