TRAVAIL, FAMILLE, PARTIE DE PLAISIR Que ceux qui poussent les hauts cris dès qu'on prononce devant eux les mots « dessins animés japonais » révisent leur jugement. Car Kazuo Iwamura, le doux, le tendre, le lumineux, le bucolique illustrateur des séries « Les Souris » et « La Famille Souris » a fait ses débuts dans la vie active en tant que dessinateur pour les émissions enfantines de la chaîne japonaise NHK. Certes c'était hier. Et certes, il en est sorti, mais sans pour autant être devenu une brute épaisse assoiffée de sang et de cervelles d'enfants. Après un court passage par le design dans l'industrie cosmétique, Iwamura se consacre dorénavant à la création de livres pour enfants. Il vit depuis une vingtaine d'années à une centaine de kilomètres au nord de Tokyo, en plein milieu des bois, avec sa famille nombreuse. Une situation qui rappelle celles des « Souris » (sept enfants) et de la « Famille Souris » (dix), sauf que lui n'en a que...cinq ! C'est une famille idéale que la famille Souris. Une famille traditionnelle : grands- parents, parents et enfants vivent sous le même toit. Une famille japonaise : l'aîné des enfants est appelé Grand Frère, la cadette Petite Sœur, Grand-Père et Grand-Mère ont les yeux bridés quand ils sourient. Une famille qui sait tout faire : bâtir son logis (« Une nouvelle maison pour la famille souris »), fabriquer des luges et des jeux de société (« L'hiver de la famille Souris »), récolter des provisions (« La famille Souris et la racine géante », « Le petit déjeuner de la famille souris). Une famille toujours unie qui a le génie de transformer en parties de plaisir les pires corvées de la vie quotidienne et de métamorphoser le moindre repas, le moment le plus banal en fêtes merveilleuses (« Le petit déjeuner », « Le pique-nique », « La lessive », « La fête d'automne de la famille Souris », « La famille Souris dîne au clair de lune », « La famille Souris se couche »). Tous ensemble on cuisine et on déguste, on travaille et on joue, on chante, on raconte, on se promène et on jouit du bonheur de vivre en pleine nature. En promenant son pinceau à hauteur de museau, en remplissant ses pages de détails de la forêt (avec juste une ligne de blanc d'un centimètre pour le texte d'une ligne en bas de page), Kazuo Iwamura nous offre des symphonies de couleurs, des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches, et tous les oiseaux, tous les insectes qui peuplent les sous-bois. Son amour de la nature éclate encore dans « Le Piano des bois », l'histoire d'une petite fille qui vient jouer du piano sur une simple souche d'arbre coupé, bientôt rejointe par un orchestre entier d'animaux. On sort de ces albums avec des gourmandises de baies, des soifs de torrents clairs, des envies conquérantes de cabanes et de randonnées, et dans les oreilles, avec les chants d'oiseaux, le doux vacarme des grandes familles dont tous les connaisseurs en voie de disparition savent bien qu'il n'est jamais une cacophonie. Sophie Chérer. Extrait de l'Album des Albums, l'école des loisirs, 1997