Gisèle Bienne en 7 sept
Tatiana sous les toits est son septième livre publié à
l’école des loisirs. Ce nombre, hautement symbolique, est
le porte-bonheur de l’espiègle et profonde Gisèle Bienne,
et l’occasion d’en apprendre un peu plus sur celle qui sait
dépeindre avec autant de justesse une figurine en verre filé
qu’un champ de bataille de la Grande Guerre. Sans parler
de ce champ de bataille croisé avec des figurines en verre filé qu’est le coeur adolescent…
7 livres pour la jeunesse
Tatiana sous les toits est mon 7e livre en Médium, après
La petite maîtresse, Mon jour de grève, Les champions, Un
cheval sans papiers, Le cavalier démonté, Chicago, je
reviendrai. Ce livre est venu me surprendre, d’un seul
coup, comme un flash, comme des bulles de savon
qui passent. J’ai vu des images nettes de l’immeuble
où vivent les deux héroïnes, Aurore au 5e étage,
Tatiana au 6e, et le livre m’a dit : « Écris-moi. » Il
m’a demandé d’être… médium. Et comme je crois
au chiffre 7, je m’y suis mise. J’ai repris par la suite
les dialogues et tous les détails, mais ce premier
déclic a été décisif.
7 frères et soeurs
7 livres en Médium, comme les 7 frères et soeurs que
nous étions, et je suis la troisième. C’est dire combien
j’ai joué et tout appris, même le football ! 7 enfants
joueurs qui sont représentés chez moi sous la forme
de 7 oeufs en marbre blanc déposés dans un joli panier.
J’étais très attachée à mes petits frères dans l’enfance et
l’adolescence, et j’ai eu à deux reprises la hantise de les
perdre, l’un d’un accident, un autre d’une maladie.
Aurore, elle, a perdu accidentellement Vincent, son
frère aîné, dans la petite enfance. Elle voudrait se
souvenir, parler de lui, et elle apprendra à le faire
positivement avec Tatiana.
7 ans
Quand j’ai eu 7 ans, l’âge où l’on voit clair, et loin, je
me suis trouvée tout à coup hors jeu. Je suis tombée
malade et j’ai vu le monde à travers les étranges visions
que donne la fièvre. J’ai causé une grande peur à ma
mère avec cette maladie dont je n’ai jamais su le nom
exact, mais je m’en suis sortie, par chance, hasard,
destin, j’ai un peu tout confondu. Les enfants tombent
souvent malades à 7 ans. C’est un âge où nous nous
posons 7 mille questions et où rien ne va comme nous
le voudrions. Puis tout reprend son cours, avec
quelques hauts et bas. Et j’aime les hauts. Je rêve d’être
acrobate, j’adore le cirque où notre père nous conduit,
les trapézistes, les funambules.
17 ans
À 17 ans, je rue dans les brancards. Je suis déchirée
entre l’envie de partir au loin, sans laisser d’adresse, et
celle d’étudier les grands livres. Je crois en eux. Les
personnages me parlent comme nulle part ailleurs et
me comprennent quand profs ou parents me donnent
tort sans m’avoir écoutée. Je rêve d’un grenier comme
celui de Tatiana. Je n’écris pas, sinon dans ma tête, mais
je dessine et je peins. Et j’écoute la radio, la nuit. Les
voix, plus fascinantes encore que les visages, m’ouvrent
des chemins. C’est tout un art que de dire des textes.
Pour la poésie et le théâtre, je dis d’abord merci à la
voie des ondes. 17 ans, la vie est neuve, intense. J’offre
à mon amoureux une de mes peintures, il l’a choisie
et il a pris la plus belle. Il m’offre un poster : La
chambre de Vincent à Arles, de Van Gogh, qui m’émeut
beaucoup. Une petite soeur naît, on dirait une
poupée, c’est la dernière, la « chouchoutée ».
27 ans
À 27 ans, je prends la plume et je me lance d’un
coup : j’écris mon premier roman. Il est publié. Les
adultes et les ados le lisent, m’écrivent. Je ne
comprends pas trop ce que j’ai fait, ce qui m’arrive.
Me voici sur le chemin de l’écriture, et l’écriture est
une passion autant qu’un travail qui dévore notre
temps, mais on ne s’en plaindra pas… Ce goût, cette
passion, j’aime les transmettre, c’est pourquoi j’anime
depuis 10 années des ateliers d’écriture dans une
maison de quartier à Reims où je vis.
107 ans ?
Il faut essayer d’être à la hauteur de ses rêves. L’actrice
Tatiana le sait, et Aurore le découvre auprès d’elle. Je
veux croire qu’à 77 ans, je serai comme à 7 ans, et
comme à 17, et 27 et tous les autres 7, (peut-être
même 107…). Je serai sans doute pleine d’expé rience,
et toujours prête à me laisser surprendre par les
rencontres et les étranges choses de l’existence. Mais
la vieillesse, je n’y pense pas, je ne vis que le présent,
je suis incapable de me projeter plus de trois mois en
avant. Les personnes âgées que j’ai pu côtoyer et aimer,
je les ai toujours trouvées jeunes !
Le 7e et les autres arts
En classe, réciter des poèmes me plaisait beaucoup,
les lectures à voix haute aussi. J’ai rêvé d’être actrice,
ou plutôt de dire des textes pour la radio. Je lisais, le
soir dans ma chambre, devant ma glace, je voulais
inviter les gens à entrer dans les textes. Puis j’ai eu
envie d’être peintre et, pendant des années, j’ai signé
mes toiles du nom de mon compagnon de l’époque,
Klinkeberg. Je pense à Chagall, né le 7.7.1887, qui
a créé Portrait de l’artiste, un tableau magique, « avec
les sept doigts ». Selon l’expression yiddish, faire
« quelque chose avec les sept doigts », c’est le faire de
tout son être, avec ses facultés rationnelles et
irrationnelles.
Le 7e et les autres arts ?
Le dernier très bon film que j’ai vu
deux fois, c’est La vie des autres de Florian von
Donnersmarck. Justement, il y est question d’un
écrivain et d’une actrice vivant ensemble en
Allemagne de l’Est, à Berlin, à l’époque commu -
niste. Privés de liberté, obligés à une fausse parole
ou réduits au silence, les artistes souffrent, dépri -
ment, se suicident parfois. Le film le montre très
subtilement, comme il montre tout ce que nous
recevons d’eux et à quel point le monde perd ses
couleurs et son relief sans eux.
Extrait du catalogue Médium / Théâtre / Classiques, Automne 2008 / Hiver 2009