Rencontre avec Gil Ben Aych :
Plutôt qu’une interview par téléphone, Gil Ben Aych préférait une rencontre dans un café parisien pour discuter « cinq minutes ». Cinq minutes ! On n’y croyait pas une seconde. Il s’est repris : disons une petite heure… La petite heure a pris toute l’après-midi. Et quelle après-midi ! Gil Ben Aych nous a entraînés dans son Paris à lui. Celui des parties de foot au square des Batignolles, de la prépa de philo au Lycée Paul-Valéry, Mai 68 et les interminables discussions au café Maheu près de la Sorbonne, le commerce de vins fins, son poste à l’École alsacienne… Il égrène les années, comme s’il nous racontait la suite des aventures de Simon, son double littéraire, le héros de L’essuie-mains des pieds et du Voyage de Mémé. Avec une différence qui saute immédiatement aux oreilles : Gil Ben Aych ne parle pas comme il écrit. Dans sa voix, nul accent pied-noir, pas la moindre expression de là-bas mais des mots choisis avec soin, déroulés avec clarté, dans un français toujours exigeant.
Gil Ben Aych parle « comme dans un livre », mais un livre qui ne serait pas le sien…
Il nous raconte, à sa façon, son entrée en littérature.
Après quelques poèmes publiés dans la revue Les Temps modernes, un texte dans Libération et un premier manuscrit en déshérence, il rédige L’essuie-mains des pieds l’espace d’un week-end : « J’allais voir mes parents dans le sud de la France. Je l’ai écrit d’une seule traite dans le train Paris- Cannes : huit heures à l’aller, huit heures au retour et quelques heures sur place. » À peine publié en 1981, le livre est adapté par Pierre Ascaride au Théâtre de l’Est parisien. Gros succès, suivi d’une tournée pendant un an et demi. «On a frôlé l’émeute à Marseille devant le Théâtre de la Criée. C’était complet et beaucoup de juifs pieds-noirs n’avaient pas pu acheter de places. »
En 1982, Bordas a la bonne idée de lui passer commande d’un roman jeunesse pour sa nouvelle collection «Aux quatre coins du monde ». Gil Ben Aych se souvient de son étonnement : « Je ne savais même pas qu’il existait des écrivains qui écrivaient spécialement pour la jeunesse. Pour moi, on écrivait. C’est tout. » L’un des derniers chapitres de L’essuie-mains des pieds raconte l’histoire de la grand-mère de Simon qui refuse de traverser Paris autrement qu’à pied. Il a envie « d’amplifier la chose ». Parfait ! Ce sera Le voyage de Mémé.
Le succès est immédiat. Gil Ben Aych est invité dans les écoles, « toujours des villes de banlieue, toujours des municipalités communistes ». Les rencontres s’enchaînent. Dans une classe de CM2, il remarque un adolescent de treize ans habillé comme un blouson noir l’écoute avec avidité. L’instit précise : «Ça fait trois mois qu’il vous attend. C’est le seul livre qu’il ait lu. »
Autre anecdote. Cette classe dans laquelle un élève lui demande : – Dans Le voyage de Mémé, Mémé vous fait promettre d’épouser une fille juive. Est-ce que vous avez tenu votre engagement ? Un autre élève s’interpose : – Ahmed, t’exagères, on avait dit qu’on ne poserait pas de question sur la vie privée… – Mais arrête ! Dans son livre, il passe son temps à nous raconter sa vie ! ! !
Surtout, Gil Ben Aych a découvert que tous les enfants d’immigrés ont une Mémé l’Étoile (Nedjma en arabe). « Ils me disent : “Ma grand-mère, elle est pareille que Mémé, elle aime pas les voitures, elle a peur des moteurs, elle ne sait ni lire ni écrire, elle parle le français comme elle peut…” J’ai appris ainsi qu’il y avait des Mémés polonaises, africaines ou encore vietnamiennes. »
Mémé n’a pas pris une ride, son regard sur Paris et les Français est toujours aussi pertinent. Gil Ben Aych, visiblement ému, confie : « J’ai l’impression de vivre une résurrection littéraire.
Extrait du catalogue :
Mouche/Mille bulles/Neuf/Médium/Médium documents/théâtre/Classiques abrégés/chut !, printemps 2011